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Entretien avec Paul Becker, Président du Bundesamt für Kartographie und Geodäsie, und Sébastien Soriano, Directeur général de l'Institut national de l'information géographique et forestière
Quelle idée était l’origine de l’accord de coopération avec votre homologue?
Sébastien Soriano : L’IGN et le BKG sont engagés de longue date dans EuroGeographics. Au sein de cette association nous œuvrons pour l’établissement de données européennes de référence, harmonisées à très grande échelle, transfrontalières, et continues aux frontières, à partir de nos données nationales pour soutenir les politiques publiques européennes. Au-delà de cette coopération, nous avons noué une relation de confiance, entretenue par des échanges réguliers entre Paul Becker, moi-même, et nos équipes respectives.
Paul Becker : Chaque année, nous organisons une réunion avec notre institut partenaire français, l'IGN, qui se tient alternativement en France et en Allemagne. Lors d'une de ces rencontres, nous avons abordé le thème du jumeau numérique allemand ; nous avons constaté que des réflexions similaires étaient en cours en France. De nombreuses questions « débordent » des frontières, et l'idée de rapprocher les deux jumeaux s’est immédiatement imposée.
Qu’attendez-vous de ce partenariat avec le BKG ?
Sébastien Soriano : Ce protocole d’entente (Memorandum of Understanding) qui structure notre partenariat avec le BKG est une étape clé pour préfigurer concrètement le « noyau » d’un jumeau numérique européen. Nos instituts vont mutualiser leurs efforts pour renforcer la souveraineté numérique et inscrire nos projets nationaux dans une dynamique commune. Cet accord permet la collecte de ressources numériques durables et interopérables. Aussi, cette coopération doit nous permettre de partager nos travaux, ainsi que les progrès technologiques utiles à nos projets respectifs. Cet accord s'inscrit ainsi au service de biens communs numériques durables et interopérables.
Paul Becker : Nous souhaitons explorer des cas d'usages régionaux de jumeau qui présentent un intérêt pour les deux parties. De nombreux domaines passionnants s'offrent à nous. Actuellement, nous nous intéressons notamment à l'agriculture et aux forêts, et plus particulièrement aux effets du changement climatique et à la propagation des parasites. Mais nous voulons aussi apprendre les uns des autres : l'analyse de grandes quantités de données à l'aide de l'IA ouvre de nouvelles perspectives ; un échange réciproque de personnel est également envisageable.
Avez-vous déjà une expérience personnelle avec l’Allemagne ? Pourriez-vous nous citer une anecdote ?
Sébastien Soriano : Mon père a quitté le Pérou où il était recherché pour ses activités politiques dans les années 1960. Il a été accueilli en République démocratique allemande (RDA) par le parti communiste. Il a pu poursuivre ses études à l’Université de Leipzig, qui s’appelait à l’époque l’université Karl Marx, avant de rejoindre la France. Bien des années plus tard, j’ai eu l’occasion de visiter cette même université dans le cadre d’une rencontre bilatérale avec le BKG, ce qui m’a permis de découvrir le lieu qui avait marqué une étape décisive dans la vie de mon père.
Paul Becker : Dans ma jeunesse, je passais souvent mes vacances en France. Au cours d'un de ces voyages, ma R5 est tombée en panne. Lors de la réparation dans un petit garage en Bretagne, j'ai eu beaucoup de mal à expliquer le problème au mécanicien « avec les mains et les pieds ». Mon français était très mauvais. Mon interlocuteur ne regardait pas sa montre et je lui en ai été très reconnaissant : une fois son intervention terminée à 21h, j'ai demandé à l'aide d'un dictionnaire : « Combien ça coûte ? ». En riant, il m’a répondu : « C'est la seule chose qu'il peut dire. » Depuis, j'essaie d'améliorer mon français, avec un succès mitigé.
Quelles seront les étapes de la coopération ?
Paul Becker : Nous définirons ensemble un programme de travail et désignerons en France et en Allemagne des experts qui traiteront les différentes questions au sein de petites équipes dédiées. Il s'agit d'un projet très ambitieux ! Lors de notre échange annuel, nous examinerons les progrès réalisés et apporterons, le cas échéant, les ajustements nécessaires. Nous nous intéressons particulièrement à la sylviculture. Côté allemand, nous ferons appel à des instituts partenaires, car les compétences dans ce domaine sont reparties différemment en Allemagne et en France.
Sébastien Soriano : Dans le domaine de la forêt, les travaux débuteront par l’identification d’un ou plusieurs territoires d’études, pour y mettre en place le même « parangonnage » (benchmarking) ; ainsi, à partir de relevés aériens à haute densité (LiDAR), des arbres peuvent être individuellement localisés, détourés, et leur essence caractérisée. Ensuite, une méthode d’analyse sera mise au point et passée à l’échelle pour tirer le meilleur parti des technologies existantes. Parallèlement, un consortium franco-allemand s‘appuyant sur des organismes ou centres de recherche publics développera des modélisations et des simulations de propagation épidémique. Nous poursuivons un double but : faire avancer la recherche forestière et aboutir à un outillage opérationnel pour les gestionnaires forestiers.
Pouvez-vous définir les similitudes et les différences entre le BKG et l’IGN ?
Sébastien Soriano : Le BKG et l’IGN partagent un très large socle d’activités et sont confrontés aux mêmes enjeux, auxquels ils répondent par des projets convergents : entre autres, il s’agit de l’acquisition de données LiDAR, du développement de jumeaux numériques et du recours à l’intelligence artificielle. La volonté commune de porter une vision européenne de ces sujets a naturellement intensifié nos échanges. Cependant, nous devons prendre en compte certaines différences : la principale réside dans la nature institutionnelle de nos deux services. En tant qu’Agence fédérale, le BKG agit en coordination avec les Agences cartographiques des Länder ; il est placé sous l’autorité du ministère fédéral de l’Intérieur. Pour sa part, l’IGN est placé sous la tutelle des ministres chargés respectivement du développement durable et des forêts, et oriente prioritairement son action sur les questions d’environnement et de transition écologique, tout en collaborant avec les collectivités territoriales.
Paul Becker : Bien sûr, il existe des différences entre ces deux institutions, mais aussi des similitudes. Toutes deux travaillent sur des informations géographiques ; la représentation des cartes sous différentes formes est également un sujet commun. Les deux institutions travaillent intensivement sur les thèmes des jumeaux numériques et de l'intelligence artificielle. C'est pourquoi le développement de cette coopération est si passionnant. Toutefois, l'IGN exerce aussi des compétences dans le domaine de la forêt, ce qui n'est pas le cas du BKG. En revanche, le BKG est explicitement une administration de « sécurité nationale ». Sa particularité réside également dans le fait qu'il fournit, grâce à son observatoire de Wettzell, des renseignements fondamentaux pour la navigation par satellite.
Envisagez-vous des missions communes sur le terrain ?
Sébastien Soriano et Paul Becker : En premier lieu, nous envisageons de comparer les résultats des simulations avec les réalités de terrain afin de « calibrer » les modèles scientifiques. De plus, un dialogue avec les professionnels forestiers est indispensable, car eux seuls ont la connaissance fine de leurs massifs forestiers.